Travail de recherche expérimental sur l’espace urbain contemporain. Le mouvement et la vidéo au service de l'analyse du projet Interface-Gare du Flon réalisé par Bernard Tschumi. Recherche réalisée dans le cadre du laboratoire, Les Métiers de l'Histoire de l'Architecture, édifices, villes, territoires de l'École nationale supérieure d'architecture de Grenoble sous la responsabilité d'Anne Faure.

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vendredi 28 septembre 2012

De l’interface comme génératrice d’espace

Article paru dans le cadre des Journées Européennes de la Recherche Architecturale et Urbaine qui se sont tenues du 12 au 15 septembre 2012 à Porto sur le thème Espace Public et Ville Contemporaine.


De l’interface comme génératrice d’espace.

Une analyse de l’espace urbain par la vidéo et la chorégraphie.

Voir la vidéo


Lire l'article sur Calaméo :

1. Introduction

La ville, jusqu’à son appellation même, incite de multiples débats et
cristallise de nombreux enjeux. Face à sa matérialité bâtie qui compose et
organise l’espace, la ville se construit aussi au travers de temps multiples
et variés. Au temps du piéton est associé depuis plus d’un siècle celui des
machines ; automobiles, tramways, et plus récemment avions ; mais aussi
un temps virtuel, produit par les outils de communication, depuis le
téléphone aux outils numériques. Dès le milieu du XIXe siècle, les
innovations techniques ont modifié les vitesses de déplacement dans la
ville en développant parallèlement au temps réel, un temps virtuel. La ville
est donc la rencontre d’un ensemble d’éléments visibles, essentiellement à
travers ses édifices, et de données invisibles, produites par les medias
contemporains, qui en instaurant un nouvel espace-temps, modifient notre
relation physique et sensible au lieu, à sa lecture, et plus largement, à la
conception de l’espace urbain.

Cette nouvelle spatio-temporalité fondée sur des flux, produit un maillage
urbain complexe. Pour François Ascher (ASCHER, 2009. 56) […], « un
cycle se clôt alors qu’un autre s’ouvre : les aires urbaines contemporaines
préfigurent selon lui l’émergence d’une société nouvelle, la société
hypertexte ». Cette société marque la fin d’un modèle de ville de type
christallérien défini par un centre par rapport à une périphérie, et
l’avènement d’une ville réticulaire, à la centralité instable et diffuse. Cette
nouvelle figure de ville apparaît comme incertaine et mouvante, mais est
aussi porteuse de nouvelles potentialités. Ces changements nous incitent à
voir, à entendre et à penser autrement.
Afin de développer notre point de vue, nous avons choisi de travailler sur
l’aménagement d’une partie de l’ancien quartier industriel du Flon à
Lausanne, en Suisse. Nous proposons d’analyser le projet Interface-Gare
du Flon réalisé entre 1994 et 2001 par Bernard Tschumi, en nous
appuyant sur un certain nombre de références théoriques et sur nos
pratiques de vidéastes. Car l’interface n’est pas à penser que dans sa
dimension pratique. A l’instar des écrits de Nicole Lapierre (LAPIERRE,
2000. 46) relatifs à la figure du pont chez Simmel et Kracauer, l’interface
« […] offre à l’oeil une perception nouvelle du lieu dans lequel il s’inscrit et
avec lequel il fait corps ».
Il sera question de porter un regard sur ce projet pour analyser par l’image
en mouvement cette dynamique des contraires, dynamique structurante
de la vie individuelle et sociale, que Georg Simmel a de nombreuses fois
soulignées dans ses écrits.

Bien que pensé de façon collégiale et engageant des intérêts communs, le
travail expérimental mené ici par la vidéo a été réalisé de manière
indépendante selon les différentes approches et techniques des auteurs du
projet. La conclusion de ce travail est une mise en commun de nos
analyses.

2. Trois expérimentations pour lire la ville

2.1 Réflexion et images d’Eric Alfieri


Vidéo d'Eric Alfieri



2.1.1 Hypothèses de départ

Cette expérimentation vidéographique du bâtiment de Bernard Tschumi a
fait l’objet d’un premier état de réflexion, d’intention en amont du
tournage. Voici différents angles de vues.
Architecture de Bernard Tschumi

Mots continuité/rapprochement
Les niveaux avec l’extérieur de jour descendent dans la gare de nuit
Lumière naturelle/artificielle produisent des effets contraires

Interface :

-Surface de séparation entre les deux états distincts de la matière
-Limite commune à deux appareils
-Dispositif qui permet l'échange, la communication...

Imprévu :

L’imprévu : ce qui est imprévu « aimer la nouveauté et l’imprévu. Un
voyage plein d’imprévu.» (Le Petit Robert)
Interfaces possibles à explorer pour faire apparaître/émerger l’imprévu
artistique.
Afin de tenter de révéler le génie du lieu et l’impressionner sur la pellicule
du temps.

Fig 1



Travaux artistiques à expérimenter sur site:
Danse entre corps du danseur et corps du bâtiment
Eléments plastiques par le sens du toucher et du bruit
Dessiner en direct écrire le signe et l’effacer
Matière le reflet, ce que l’on voit en relation l’interface
Vidéo entre cadre est le hors cadre
Scénario entre sens et contre-sens
Urbanisme par les déplacements entre les architectures

2.1.2 Réflexion suite à l’expérimentation vidéographique

Voici dans un second temps les réflexions, observations, constations
émanant du tournage et du montage des 4 vidéos.
Nous pouvons entrer par des portes différentes dans le domaine de
l’architecture : volumétrique, sensible, culturel, constructive, historique,
sociétale, environnementale… Lors du tournage in situ dans ce bâtiment,
nous avons découvert une multitude de portes qui s’ouvrent sur le rapport
intérieur/extérieur. Cette interface est immédiate et ne nous installe pas
dans un espace clos, contenant la vie. Au contraire, ici la communication
bâtiment/ville se met en place selon une dialectique de l’entre deux.
Comme si la présence humaine ouvrait ce lieu entre l’architecture et
l’urbain. Le travail du chorégraphe/plasticien consiste à venir dans cet
interstice, dans ce vide, de donner du temps, de l’ouvrir en lui insufflant la
durée de la danse. Et un espace/temps viendra se lier au bâtiment en le
caressant des douces ailes du danseur. Ensuite nous constatons à la
lecture de ces travaux vidéographiques, une dimension qui s’ouvre sur un
imaginaire collectif. Les usagers s’invitent à la prise de possession de cet
espace/temps dans les prises de vues du vidéaste. Ce moment singulier
vient se loger sur l’écran de la caméra. Et par un phénomène d’ubiquité,
des impressions se scotchent, se stockent sur les différents écrans de nos
imaginaires. Un instant de poésie est venu se loger dans ce lieu. Il est
inscrit dans la pensée du lieu et permet de découvrir les itinéraires, les
passages, les liens du jeu cinématographique : le génie du lieu.
Ce bâtiment devient omniprésent.
Le bâtiment/ville se révèle comme un lieu où l’on se joue des espaces clos
en des espaces ouverts. Une multitude de pensées se souviennent, se
reconstruisent, se projettent lors de cette traversée vidéographique.
Ce travail de lecture d’architecture, développé par la chorégraphie et arts
plastiques, fait découvrir l’indicible à nos yeux : Bernard Tschumi l’a
nommée Interface-Gare du Flon.

2.2 Réflexion et images d’Anne Faure


Vidéo d'Anne Faure


L’apparition du cinématographe en 1895 bouleverse la pensée de l’espace
et induit en partie, une nouvelle pensée virtuelle. L’intérêt pour le
mouvement réel dans l’art se manifeste alors plus fortement et de
manières plus diversifiées qu’auparavant. L’influence du cinéma sur la
pensée de l’espace se traduit alors par de nouveaux questionnements
théoriques sur l’interface, tout en prenant de l’importance dans le
processus de conception et dans des propositions d’usage. Des interfaces
qui agissent comme autant de passages (BOIS, 1983. 11), de « […] non-
lieu[x] qui n’existe[nt] que par l’expérience temporelle que le flâneur peut
en faire ». L’expérience en mouvement instaure ainsi un nouveau système
de références qui fonde une partie de la pensée créatrice du XXe et du
XXIe siècles, et que l’urbaniste et l’architecte transcendent par des
propositions que nous qualifierons d’immatérielles.
Afin d’analyser la complexité du projet, nous avons choisi de travailler
avec la vidéo. L’utilisation d’un outil qui capture le lieu en train de se faire
et le transmet en mouvement est pour nous approprié à cet espace urbain,
qui nécessite le déplacement permanent du corps et de l’oeil. Un oeil qui
voit et fait tout noter par la caméra, qui explore les multiples couches de
l’objet et ce qui l’anime. (FAURE, 2000. 25)
Le mouvement de la caméra et de l’oeil et des images entre elles lors du
montage, permet d’être au plus près de l’expérience de la perception de
l’oeil, lorsque celui-ci parcours l’architecture.
La caméra numérique est un outil qui saisit le réel de l’espace architectural
et urbain dans leurs quotidiens. Elle permet d’effectuer un relevé sur un
support numérique de leurs variations, leurs moments d’intensité, de
calme, mais aussi les accidents, les rencontres, les fonctionnements et les
dysfonctionnements, qui se font sous son oeil externe. Elle peut attraper,
comme l’écrit Walter Benjamin (BENJAMIN, 2000. 300), « […]
la petite étincelle de hasard […]grâce à laquelle le réel a pour ainsi dire brûlé un
trou dans l’image. » C’est dans la saisie des transitions que la vidéo est
pour nous essentielle.
La caméra, en capturant l’instant est le moyen de prendre le lieu dans son
ensemble, dans toutes ses complexités. Comme l’écrit Hubert Damisch
(COHN et al., 2003. 215) « […]
décrire un tableau revient à rien de moins
qu’à le mettre en mots, le traiter à la moulinette du langage, le convertir
en un objet de discours qui offre matière à interprétation, voire qui
l’appelle. » Ainsi, nous traitons l’espace urbain à la moulinette des images,
pour en extraire un discours.
Et l’image vidéo, en prenant comme source le réel, construit l’espace
architectural. Un espace architectural que nous ne regardons pas comme
espaces et formes, mais comme vie. Puis, nous croisons les images du réel
entre elles, par la technique du montage numérique. Cette mise en
dialogue nous permet d’affiner notre regard et notre pensée de l’objet et
de fabriquer de nouvelles images qui construisent le sens de nos vidéos.
Par le montage, la vidéo tente de rétablir des connexions entre l’acteur de
la ville et le lieu, à l’aide de la perception. L’espace urbain reconstruit par
la technique de la vidéo, bien que composé à partir d’images du réel, n’est
plus le lieu capturé par la caméra. Irena Latek (LATEK, 2008. 231) parle
de la vidéo comme d’« […]
un lieu d’interprétation (représentation) des
sens qui s’y croisent. » Ce travail d’interprétation, c’est-à-dire d’illustration
des sensations produites par l’objet architectural, n’est qu’un moyen pour
parvenir à montrer les perceptions.


Notes sur l’état des lieux
Cette approche analytique et critique du projet est liée à notre intérêt pour
l’image mouvante dans la pensée de l’architecture aujourd’hui, et aux
travaux expérimentaux sur l’analyse filmique comme outil du projet,
menés par Bernard Tschumi à la fin des années 1970 par les Manhattan
Transcripts et les Screenplays.


Un lieu.
Une espace urbain central dans la ville, contenu et limité par une
architecture existante.
Un noeud de mouvements et de vitesses variables. (Marcher, rouler,
passer, monter, descendre).
Un espace cinétique.


« Le centre est un lieu de passage, c’est-à-dire un lieu indifférent, sans
autre identité que celle que lui confèrent les passants, un non-lieu qui
n’existe que par l’expérience temporelle que le flâneur peut en faire. »

(BOIS, 1983. 11)


Un oeil.
Un oeil en mouvement.
Un regard sur les corps, sur la trajectoire des corps, sur la trajectoire et le
déplacement des corps dans le dispositif,
sur l’image réfléchie des corps, sur le corps à corps,
sur le corps aérien, sur le corps souterrain.


Un médium.
Un relevé perceptif des composantes de l’espace,
Le croisement, la superposition, le glissement des images,
Etre étonné par le lieu,



Révéler l’imperceptible, fabriquer l’atmosphère du lieu, interpréter le
sensible,
Filmer les mouvements, les corps en mouvement, croiser les plans, pour
révéler l’architecture et les flux incessants, révéler l’immatérialité de la
place. Saisir et fabriquer par l’image en mouvement, l’identité du lieu.


Fig.2

2.3 Réflexion et image de Benjamin Hecht


Vidéo de Benjamin Hecht


Usage de la vidéo comme outil d'analyse de site et de compréhension des
phénomènes urbains contemporains dans l'espace public : cas d'étude
appliqué au site de la Interface-Gare du Flon réalisé par Bernard Tschumi.

Dominique Bouillier évoque l'émergence d'une « troisième ville », qu'il
appelle « la ville silicium » (BOUILLIER, 1999. 7) ou "la ville de la
connaissance", marquée par la multiplicité des échanges et des circulations
non plus seulement physiques mais aussi numériques. Peut-on penser de
nouveaux outils et de nouvelles méthodes pour développer une analyse
urbaine de cette « troisième ville » ?
Afin d'analyser quels sont les enjeux de la ville contemporaine et de son
espace public, la méthode utilisée consiste à coupler une démarche
expérimentale à un usage de l'outil audiovisuel. La démarche
expérimentale se construit autour de la chorégraphie d'Eric Alfieri. Par son
utilisation du corps et du mouvement dans l'espace, le chorégraphe ouvre
une « zone d'autonomie temporaire » comme la nomme Hakim Bey (BEY,
1997. 22) soit une dérivation de l'usage de l'espace.
La deuxième phase de la démarche s'articule autour de l'outil audiovisuel,
outil d'analyse et de transmission d'informations. Deux méthodes guident
la caméra pour l'analyse : la première se base sur la technique de


l'interview in situ, et la deuxième repose sur l'utilisation du plan fixe et du
plan large comme méthode d'observation.
Le fait de laisser place à un incident chorégraphique permet d'effectuer
une reconnexion avec l'espace public : par la chorégraphie et la vidéo, il
est possible d'ouvrir un temps de recul de la perception de l'usager. Il
choisit alors de se saisir de ce temps ou de passer son chemin. Cette
méthode combinant une démarche artistique, practico-sensible et
sociologique a permis de recueillir neuf interviews sur le passé du site, sur
ses qualités et ses défauts, et d'ouvrir l’imaginaire sur des améliorations.
D'une part, autour de la réalisation de la chorégraphie, plusieurs angles de
vue en plan fixe et en plan large ont été réalisés. Le choix des plans
s'explique par la volonté de retranscrire la chorégraphie dans son
contexte. D'autre part, autour du danseur, la multiplicité des points de vue
permet une balade cinétique avec comme fil conducteur le corps du
danseur dans l'espace. Enfin, le montage du film permet de croiser
interviews et plans du site et ainsi d'amener le spectateur dans les lieux
évoqués, et ainsi de faire entrer en résonnance la parole des usagers, la
chorégraphie et l’architecture du lieu.
Le montage du son permet une analyse précise de la parole autour de trois
temps : passé, présent, futur. A propos de la dimension « passé », les
discours convergent sur le fait que l'espace « d'avant » était un espace
peu attractif (gare de triage, stockage de marchandise). Cependant les
discours sont distincts quant à la nature exacte du lieu avant sa
transformation (parking, entrepôts, voies ferrées…). Sur la dimension
« présent », les usagers s'accordent sur la nature fonctionnelle du lieu et
la proximité de nombreux commerces. Le site apparaît comme un espace
représentatif de cette ville numérique car les interconnexions sont
multiples, et ce à différentes échelles. Enfin, les usagers ne voient pas
immédiatement d'améliorations quant au devenir du site même si la
question du végétal dans la ville revient principalement. Un usager fait
remarquer l’existence de la rivière du Flon qui traverse le site. Les projets
de la ville (réduction de la place de la voiture et tramway) sont cités.
En comparant les résultats des interviews avec le projet initial de Bernard
Tschumi (TSCHUMI, 1994. 167), des similitudes apparaissent avec la
perception des usagers quant à la place de la nature.
Nous pouvons conclure que la vidéo et la démarche expérimentale dans
l'espace public apportent des éléments de réponse quant à l'analyse de
cette complexité urbaine. Puisqu’elle révèle la parole de l'usager qui donne
une épaisseur distincte au site. Les plans laissent entrevoir un espace
dédié aux flux où même la performance artistique semble s'effacer dans le
mouvement du lieu. L'espace apparait comme marqué par des lignes de
flux que l'architecture dessine de façon implicite.
Territoire marqué par son fonctionnalisme et la vitesse, le quartier
Interface-Gare du Flon a donc pu révéler sa complexité au cours des
différentes expérimentations. Si les aspects de mobilité sont bien présents
et représentatifs de cette ville silicium, des aspects sociaux et
environnementaux paraissent avoir été écartés, peut-être au profit
d’intérêts économiques et commerciaux. Ceci amène à nous s'interroger
sur les différents leviers et enjeux liés à la fabrication d'espaces tels que
Interface-Gare du Flon.


Fig.3

3. Conclusion

Ce travail expérimental, basé sur trois pratiques vidéo distinctes, nous a
permis de faire une analyse du projet Interface – Gare du Flon. Au-delà de
l’utilisation d’un medium commun, chaque membre de l’équipe a conservé
ses propres méthodes de travail, tant dans l’approche et le repérage du
lieu, que dans les prises de vue et le montage des images et du son. Les
prises de vue ont été faites aux mêmes moments. Le site et la
chorégraphie sont les fils conducteurs de nos différents travaux. Cette
approche expérimentale a permis la production de différentes vidéos qui
sont autant d’approches et de questionnements sur le lieu. Trois
réalisations ont été choisies et montées ensemble dans un film de 12
minutes.
Chaque vidéo, de manière indépendante, fait dialoguer les images en
produisant un imaginaire et du sens. La mise en commun de nos
différentes vidéos dans une même réalisation, développe un nouvel
imaginaire. Le rythme ternaire produit par le dialogue des trois vidéos
enrichi cet imaginaire. Notre démarche permet de mettre en avant
l’utilisation de la vidéo dans l’analyse d’un lieu, mais elle permet surtout de
mettre l’accent les multiples possibilités de représentation que permet la
vidéo à partir d’un lieu et de contraintes communs.
Le processus de travail expérimental et les vidéos réalisées, nous ont
permis une réflexion sur cet espace urbain. Le territoire a révélé sa
complexité au travers des différentes expérimentations. D'une part, la
démarche construite autour de la chorégraphie et du corps dans l'espace
d'Eric Alfieri a permis de créer une vision sur et autour de l'espace utilisé ;
le travail d’Anne Faure basé sur la technique du collage numérique à
permis de matérialiser la perception produite par les flux incessants des
corps ; et au-delà du mouvement et de la perception cinétique communs
aux différents travaux, Benjamin Hecht donne la parole aux usagers.
Bien qu’en partie autonomes, ces trois travaux font du corps un élément
fédérateur du lieu. Qu’il s’agisse du corps de l’usager, du danseur ou du
cadreur, le corps est cité comme l’élément central du dispositif
architectural. C’est en effet le corps qui, dans des déplacements constants,
se frotte à la matière, à la forme et aux autres corps, apparaît dans nos
travaux comme la respiration du lieu. En cela, le projet Interface n’est pas
uniquement un projet d’architecture ou d’urbanisme, c’est-à-dire de
matérialisation d’espace, il est avant tout un projet sur le vide. Comme le
souligne Daniel Sibony,« Un génie comme Merce Cunningham a inventé la
présence de la durée, le silence du temps, l’instant vide comme un
événement évidé ; évident. » Un vide construit sur de multiples interfaces,
c’est-à-dire, sur des surfaces de séparation qui provoquent une
communication, et que génère le corps en mouvement. Et ainsi, le projet
est un espace de transit, sans point focal. Au contraire, il est un lieu
composé d’une multitude de centres mouvants qui se construisent au grès
des événements, des croisements, et dans lesquels les corps se glissent.
Ce maillage fait de déplacements, humains et mécaniques, où seul
l’attente d’un train modifie la cadence si présente, au niveau haut comme
au niveau bas de la ville, n’est pas sans rappeler le film Métropolis auquel
Bernard Tschumi fait référence.
Le maillage en mouvement et la non centralité repérée font de ce territoire
un espace en attente, en attente d’un événement, voire d’un dérèglement,
en référence encore une fois au film de Fritz Lang.
On peut se demander en quoi ce projet, réalisé à la fin des années 1980,
peut apporter des réponses sur l’espace urbain contemporain. Notre
analyse précédente est une réponse. En effet, dès la fin des années 1980,
Bernard Tschumi développe dans ce projet une pensée emblématique qui
entend le territoire comme cinétique. Sa pensée est aujourd’hui largement
développée en architecture, en urbanisme et en sociologie. Car si la vidéo
et la chorégraphie renvoient au mouvement et donc au temps,
l’architecture et l’urbanisme aujourd’hui se doivent s’articuler le temps
long du territoire physique et l’immédiateté des mondes virtuels qui le
traversent. En cela, la captation de moments par la vidéo peut être une
démarche nouvelle pour saisir les fragments de complexité de l’urbanité
numérique qui émerge un peu plus chaque jour.

4. Légendes
Fig.1, image extraite de 4 vidéos regroupées sous le titre générique "DD et
le Flon" réalisées dans le cadre de la recherche « De l’interface comme
génératrice d’espace », EURAU’12. Chorégraphe de l'image: Majea Raiger
Danseur : Eric Alfieri. Imperméable coloré/ set de table : Eric Alfieri
Conseillère artistique : Stéphanie Scherer.
Pour la vidéo "DD court après Flon!"
Musique : "One Hit" par The Rollings Stones

Fig.2, image extraite de la vidéo Passage 3 réalisée dans le cadre de la
recherche « De l’interface comme génératrice d’espace », EURAU’12.
Passage 3, Prises de vue et réalisation, Anne Faure. Couleur, sonore, 3
min. 10. Musique originale : Philippe Martin. 2012.

Fig.3, image extraite de la vidéo Inter[-]faces réalisée dans le cadre de la
recherche « De l’interface comme génératrice d’espace », EURAU’12.
Inter[-]faces, Prises de vue et réalisation, Benjamin Hecht. Couleur,
sonore, 4 min. 16. 2012

5. Bibliographie


ASCHER, François. L’âge des métapoles. Paris, harmonia mundi diffusion
livres, 2009.

BENJAMIN, Walter. « Petite histoire de la photographie », in OEuvres II.
Paris, Gallimard, 2000.

BEY, Hakim et TREGUIER, Christine. TAZ : Zone autonome temporaire.
Paris, l’Éclat, 1997.

BOIS, Yve-Alain. « Promenade pittoresque autour de Clara-Clara ». In
Pacquement Alfred [sous la dir.], Richard Serra. Paris, Centre Georges
Pompidou/ Musée national d’art moderne, 1983.

BOULLIER, Daniel. L’urbanité numérique: essai sur la troisième ville en
2100. Paris, L’Harmattan, 1999.

COHN, Danièle [sous la dir.]. Y voir mieux, y regarder de plus près. Autour
d’Hubert Damisch. Paris, Ed. Rue d’Ulm/ Presses de l’Ecole normale
supérieure, 2003.

FAURE, Anne. « Architecture/ arts visuels: une expérimentation de la
perception visuelle, par la vidéo numérique, considérée comme instrument
de la pensée architecturale. », doctorat, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2010.

LAPIERRE Nicole. De Georg Simmel à Siegfried Kracauer. In :
Communications, 70, 2000. Seuils, passages.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_05888018_
2000_num_70_1_2062 [consulté en juillet 2012]

LATEK, Irena. « Passages, déplacements et flâneries autour du Mémorial
Walter Benjamin », in, Architecture inquiétée par l’oeuvre d’art. Mémorial
Walter Benjamin, Dani Karavan. Programme de recherche « Art,
architecture et paysages ». Laboratoire Les Métiers de l’Histoire de
l’Architecture, coordinateur Bruno Queysanne. Ecole nationale supérieure
d’architecture de Grenoble, 2008.

PACQUEMENT, Alfred [sous la dir.]. Richard Serra. Paris, Centre Georges
Pompidou/ Musée national d’art moderne, 1983.

SIBONY, Daniel. Le corps et sa danse. Paris, Seuil, 1995.

TSCHUMI, Bernard. Event cities [1], (Praxis). Cambridge, MIT Press, 1994.

6. Biographies


Anne Faure est architecte, vidéaste et docteur en Arts plastiques,
esthétique et sciences de l’art de l’université Paris 1_Panthéon-Sorbonne.
Elle est enseignante et chercheur au Laboratoire, Les Métiers de l’Histoire
de l’Architecture, édifices, villes, territoires, à l’Ecole nationale supérieure
d’architecture de Grenoble (Fr). Ses travaux portent sur le dialogue entre
les arts visuels et l’architecture aujourd’hui, et sur l’image mouvante
comme outil de représentation.

Benjamin Hecht est diplômé en Sciences politiques et en Urbanisme
(Institut d’urbanisme de Grenoble). Il est spécialisé dans les questions de
participation et de représentation. Sa formation, ses initiatives
personnelles lui ont apporté les méthodes et savoir-faire nécessaires à la
réalisation d’enquêtes de terrain et de documents audiovisuels. Son
engagement dans la sphère associative et citoyenne lui ont également
permis de développer des approches innovantes sur les usages de la vidéo
et des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour la
démocratie locale.

Eric Alfieri est chorégraphe/plasticien et architecte. Son travail s’oriente
actuellement vers la recherche poétique de nos mémoires collectives.
Nous pourrions envisager l’expression de lecteur d’architecture qui
désignerait ce créateur aux multiples visages, tant est singulier son
domaine d’expression esthétique.
Différentes interventions dans des lieux patrimoniaux, tels que le musée
Dauphinois à Grenoble, ou le site Couriot/musée de la Mine de Saint
Etienne ou les Forts de Briançon, le site Le Corbusier à Firminy…



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